Tant de neige et si peu de pain by Béatrice Wilmos

Tant de neige et si peu de pain by Béatrice Wilmos

Auteur:Béatrice Wilmos [Béatrice Wilmos]
La langue: eng
Format: epub
Éditeur: Rouergue
Publié: 2023-09-15T13:48:21+00:00


Lundi de Pâques. Dans les églises retournées au silence, les bougies brasillent, fument et s’éteignent. Par la fenêtre monte l’odeur des arbustes en fleurs et du café que fait griller à l’étage en dessous Elizaveta Goldman. Marina a relu le carnet d’Assia jusque tard dans la nuit et s’est couchée le cœur battant et l’âme à vif à cause des souvenirs ramenés en pleine lumière – avec le remords, le chagrin et l’incompréhension.

Ce terrifiant hiver 1919, la neige partout, le noir, la hâte, sans cesse, pour ne pas mourir de faim et de froid. Et Irina abandonnée. Maltraitée. Affamée. Oubliée jusqu’à la longue et terrible lecture de cette nuit.

Maintenant, elle épie les bruits de l’aube. Ils sont furtifs, des secrets chuchotés d’une rue à l’autre, d’un arbre à l’autre, d’une âme à l’autre. Le ciel est embué de mauve au-dessus des toits. Éclat, sonorité, fragilité de la lumière rasante comme d’un fil étiré de cristal. Elle connaît ces instants où tout s’aiguise. La souffrance et le chant, la lucidité, la tension, l’émotion. Voilà que sourd d’elle la poésie et ses doigts ne sont pas assez rapides, ni la plume sur le papier qui griffe et se casse, pour écrire là tout de suite ce qui survient d’un coup sous sa main et dans son âme.

En mourant j’aurai des regrets pour les chansons tsiganes

En mourant – des regrets pour mes bagues,

La fumée de cigarettes, l’insomnie, la volée légère

Des lignes sous la main.

La suite maintenant, composée presque d’une traite. À peine a-t-elle hésité sur un mot, l’a biffé, en a choisi un autre. Elle y reviendra peut-être, elle en doute, elle est sûre d’elle d’emblée.

De mes pauvres écrits la tour de Babel,

De mes lettres et des autres, le mont de feu,

La fumée de cigarettes, l’insomnie, la confusion légère

Des fronts sous la main.

Elle s’émerveille, non pas tant de ses vers que de cette magnifique et joyeuse énergie qu’elle met parfois à les composer. À qui faire part de son émerveillement ? À qui expliquer ce presque état d’extase quand elle compose, fait corps avec ses mots ? – Personne n’a besoin de mes vers ! Je n’écris que pour moi, pour faire passer le souffle dans ma vie et ma journée. C’est tout simplement une divine consolation.

Qui pourrait comprendre ? Alia sûrement. Alia, précieux réceptacle de sa poésie. Alia – petit esprit de la maison, mon génie familier, ma sœur d’inspiration – qui s’écrie, un soir de froid et de faim, enfouie sous une couverture trop légère, alors qu’elle-même s’efforce de faire partir un feu avec du bois humide. – Marina ! J’aimerais construire une maison pour les poètes et que le feu brûle dans les cheminées, que le café fume et eux ne feraient rien qu’écrire des vers !

Mais Alia dort profondément. Les émotions de Pâques l’ont épuisée. Trop de nourriture pour elle qui aime si peu manger. Trop d’imprévu, d’excitation et de joie faisant irruption dans le palais-grenier où règnent habituellement le silence et l’obscurité.

Marina doit sortir si elle veut acheter du café.



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